Posé sur mon île

J’atterris dans les dernières lueurs du jour.
A peine la porte ouverte, le parfum humide et marin des succulentes et de l’océan tout proche m’envahit dans l’escalier. Je traverse la piste, hypnotisé par le ciel qui s’éteint.

Dernière épreuve après un long vol; louer une voiture, attendre, signer la paperasse, trouver la commande de coffre d’un carrosse à chaque fois différent.
Ca ne fait plus rien de changer de passer d’une conduite à gauche a une conduite à droite, parfois avec un volant à droite, parfois à gauche. Aucune importance, ici il n’y a que des ronds-points et il faut improviser en fonction du taux de rhum dans le sang de chacun.

Il y a des endroits sur une ile que l’on préfère éviter, des endroits tabous, qu’on aime pas, et ceux où l’on veut rester pour toujours.
Vite, je file à Leeward, à l’extrémité Est de l’île, mon repaire, l’île est petite mais il faut vingt minutes pour y arriver.
La clef est sur la porte, je découvre le bungalow que j’ai loué pour six mois sans le voir vraiment, les ventilateurs brassent l’air tiède.
Les lits sont fait, c’est une bonne surprise.

Il m’aura fallu 7 semaines pour me recréer un cercle d’amis et de nouvelles habitudes.
Quand nous nous étions installé à Las Vegas, j’avais souffert de la difficulté de créer des liens moins superficiels que ceux des rencontres devant une margarita, dans un ascenseur ou à une table de baccarat.

Quelques visages connus de précédentes visites à nouveau croisés, un touriste New Yorkais qui s’empresse de s’échapper ici dès qu’il le peut, un chef Français truculent, des Quebecquois échoués ici pour les mêmes raisons que nous, et les figures locales importées d’Europe qui perpétuent les bonnes traditions du vieux continent sur notre îlot Bahaméen, voila de nouveaux amis.
Les liens humains semblent plus fort ici mais personne ne se mouillerait à socialiser avec quelqu’un qui ne compterait pas s’installer.
La réunion habituelle des résidents sur un voilier, destination coucher de soleil et rhum à volonté, c’est notre grand-messe du vendredi.
Désormais, je ne pourrais plus faire 100 mètres sans rencontrer une connaissance, comme dans n’importe quel petit village.
J’y suis enfin chez moi, rassuré.

 

 

 

Mai – Providenciales

Mi-Mai.
Nous sommes rentrés depuis 6 semaines des Seychelles.
Il commence à faire beau mais je trépigne, j’ai une furieuse envie de retourner à Providenciales pour activer notre installation.
Je passe mon temps au balcon, cerné par la ville, à essayer d’apercevoir l’horizon quelque part.
J’ai déjà revu tous mes clients, j’ai de quoi faire par dessus la tête et plus de rendez-vous prévus.
C’est bientôt l’été, les affaires vont commencer à ralentir, un moment bien choisi pour partir.
J’hésite entre plusieurs cottages et finalement j’en trouve un  là ou nous nous étions échoués la première fois, je le prends pour six mois.
Je connais l’endroit, sur Facebook je retrouve la locataire précédente, nomade digitale et championne de kite surf hollandaise, elle est restée six mois également, avant de partir s’installer à Bonaire, une dépendance hollandaise plus au sud. Elle me file gentiment un plan pour acheter des vélos d’occasion.
J’ai l’habitude des meublés, cette fois-ci, il va falloir acheter de la vaisselle, raccorder le cable et me trouver un indispensable barbecue, se faire un nid tropical bien à nous.
Une alerte sur Googleflights me prévient que les vols vont  augmenter de 17% dans les 5 heures. C’est peut être du marketing, mais ça me paraît vraisemblable, en tout cas, ça s’est toujours vérifié, vraiment le meilleur plan pour trouver les meilleurs vols à bon prix.
En une soirée c’est plié, plus qu’une semaine pour se préparer.

A Providenciales, je sais que je vais trouver à peu prés tout ce qu’il faut pour la maison,  j’avais fait un repérage des magasin de bricolage et déco lors de notre dernière visite.


 

 

 

 


J’emmène l’essentiel, une valise de 23.8kg pour moi, une de 12 pour Melody, pour garder avec nous tout notre petit univers en quelques objets biens choisis.

Je vais encore me tuer le dos avec la mienne, je déteste la prendre, on l’appelle le sacerdoce.
Je me l’étais trimbalée un jour à Singapour et en Malaisie aussi laborieusement que le Géotrupe pousse sa boulette de bouse.
Un sacerdoce, vraiment.
L’avion est en retard à CDG, 1h10 seulement au lieu de 2h30 pour passer l’immigration US. Et c’est une vrai course contre la montre, c’est aussi le plus rapide, le vol American Airlines 63.
L’équipage n’a plus de fast pass dispo, ils n’ont plus le droit. Une gentille hôtesse nous installe dans les premiers sièges 15 minutes avant d’arriver avec d’autres passagers pour correspondances foireuses en terme de timing, c’est déjà ça de gagné.
J’imagine déjà comment sauver ma soirée et ma correspondance ratée en allant dîner au Rusty Pelican ce soir, j’adore cet endroit et sa vue sur la skyline de Brickell. Rien n’est jamais vraiment perdu quand on pense positif, surtout à Miami.
Et forcément, le miracle Américain se produit. Des types qui ont su organiser le débarquement en Normandie ne peuvent pas vous laisser en rade dans leur propre pays. J’ai même le temps de chercher une barquette de sushis tout frais comme d’habitude avant d’embarquer.
Nous nous enfonçons dans le triangle des Bermudes, jusqu’aux eaux turquoises de l’archipel des Turques & Caïques baignant dans la lumière orange du couchant.
Il semblerait que les valises ne circulent pas sur le même plan temporel que les passagers humains.
Normal, on est dans le triangle des Bermudes, et ni l’escadrille du vol 19, ni le PBY Catalina envoyé à la rescousse ne sont jamais arrivés nulle part, alors les bagages…
Ne jamais rien garder d’indispensable autre part que dans un bagage cabine, c’est une règle à suivre.
Les valises arriveront demain sur le prochain vol vers 1:00pm, après que nous ayons acheté une casserole à $40, une vaisselle de dinette hors de prix, des oreillers terriblement chers, un barbecue, une balayette à $1.99…
No stress, island time.

La Digue – Seychelles

La digue est connue des initiés pour la plage iconique de l’anse Source d’Argent, que nous avons tous vu un jour sur une brochure touristique.
Ses gros rochers de granit poli ont roulé jusqu’au bord de l’eau et ses palmiers sont allongés de tout leur tronc pour presque y tremper. Le sable blanc et fin se fond dans le lagon aigue-marine, jusqu’à la barrière de corail qui la souligne de bleu saphir.
Même le chemin est un joli cliché; pour y arriver il faut traverser une plantation de vanille, dépasser les tortues géantes qui paissent paisiblement au bord de la cocoteraie, puis se glisser entre les éboulis qui ferment ce sanctuaire.

L’île fait dix kilomètres carrés, on s’y balade a vélo uniquement, et on y on croise parfois un char à boeuf. Nous sommes installés dans une petite plaine, adossé à ce tsunami de végétation qui semble se former à l’Est.

Les cardinaux de Madagascar fouillent la pelouse à la recherche de graines. On pourrait les prendre pour des coquelicots s’il ne s’envolaient quand on les approche. Je me suis trouvé une espèce de nid de Marsupilami près de la piscine. J’en ai fait mon repaire aux heures chaudes, j’y travaille paresseusement, vautré à l’ombre, me trainant de temps en temps jusqu’à l’eau pour me rafraîchir, comme un gros varan alangui.

En milieu d’après-midi des nuées de grandes chauves-souris à tête rousse semblent arriver de la mer pour se délecter des fruits de la foret. Certaines d’entre elles finiront certainement en civet à la Praslinoise.

Dans une heure le soleil va se coucher. Il est temps pour moi de grimper sur mon vélo, de faire cinquante mètres jusqu’au take away pour y chercher le curry du jour à soixante roupies, une bière fraîche, et de rejoindre la plage mythique à peine plus loin pour une dernière baignade et un picnic dans les derniers éclats du couchant.

Praslin – Seychelles

J’étais assez curieux de m’installer momentanément sur cet archipel que l’on m’avait maintes fois vanté comme un paradis.
Il fallait aussi, pour lever tout doute possible, que je vérifie que la destination que nous avions choisie comme future résidence n’était pas remise en cause par une révélation inattendue.

Les Seychelles sont un véritable microcontinent et le seul endroit du monde où l’on trouve les légendaires coco fesses. Il n’y a pas de cyclones, la végétation est luxuriante, l’eau y est pure et profondément bleue, rien n’y semble bien grave, même s’il pleut quelques mois par an.
Sa réputation de destination inabordable est vraiment usurpée. En se contentant d’Air BnB et de nourriture locale c’est bien moins cher que l’Europe.

Je file directement à Praslin, laissant derriere moi Mahé, l’île principale et la plus fréquentée, coincé dans le fuselage étroit d’un petit bi-moteur vrombissant d’île en île, comme un gros insecte butineur. 

A Praslin, on ne trouve pas de praliné, comme on trouve des vahinés à Tahiti. Mais il y a la vallée de Mai; une forêt de coco de mer préservée, de bons poissons frais comme le vivaneau vert que l’on nomme ici Job, et de savoureux curry de pieuvre ou de chauve souris au lait de coco. Sans oublier, pour rester parfaitement hydraté sous la bonne trentaine de degrés sub équatoriale, la Seybrew, rafraîchissante bière locale.

Outre les courses dans les petites boutiques indiennes surchauffées où l’on s’interroge sur la chaîne du froid en regardant les cristaux de glace sur la vitre bouillante des congélateurs, l’épicerie Whole Foods tenue par nos hôtes est devenue notre principal pourvoyeur de gateaux à la banane et de cafés frappés.

Pour trouver du poisson pour le barbecue du soir, nul besoin d’aller le pêcher si vous avez du travail en cours à l’ombre d’un palmier, il suffit de le demander au  jardinier de la propriété, et après une discussion en créole avec les pêcheurs sur la plage, le revoici une heure après avec 3 magnifiques vivaneaux à peine sortis de l’eau, nettoyés et prêts à griller.

Comme tout bon touriste j’ai eu bien des difficultés à trouver la fameuse anse Georgette, que l’on pense pouvoir rejoindre par ce chemin de montagne abrupt à l’extrémité nord de lîle, au risque de gâcher le reste du voyage avec une cheville croquée. L’astuce, c’est de négocier avec l’hotel constance Lémuria, et de passer par son golf.

Et plutôt que de moquer les touristes que je croisais, avec leurs chaussures de marche Décathlon multicolores alors que je fais mes randonnées exploratoires en tongs, je l’avoue, j’aurais mieux fait de me méfier de cet épouvantable scolopendre qui s’est fait un délice de ma délicate cheville.

Un frisson me parcoure avant de me mettre à l’eau à l’Anse Lazio, quand j’imagine cet homme de mon âge littéralement coupé en deux par l’attaque féroce d’un requin, devant sa jeune mariée, il y a quelques années.

Advienne que pourra, j’ai bien survécu à la morsure vicieuse du scolopendre.

 
Auparavant j’avais étudié un peu la possibilité d’une implantation dans ces îles.

La constitution d’une société est simple, la fiscalité absente, un permis de résidence coute $3500 et s’obtient sans difficulté.
Les grandes villes les plus proches sont Dubaï et Johannesburg, et c’est à minimum 4h de vol, et ce ne sont pas vraiment de grands marchés du digital. A moins de faire l’essentiel des affaires avec l’Afrique, ce n’est pas pour moi une base idéale.
Internet n’est pas vraiment rapide, en tout cas dans les endroits ou j’ai pu l’expérimenter… à Mahé c’est peut-être mieux.

Rub Al Khali

Tant de sable.
C’est un océan déchainé de dunes toutes plus hautes les unes que les autres qui s’abattent sur l’horizon et finissent par engloutir votre regard tout entier.
Le sable rouge plus léger roule comme l’écume sur des vagues de sable jaune, les couvrant de marbrures chatoyantes.

La méharée nous emporte pendant des lieues brûlantes, louvoyant d’une vallée de sable à une autre, et je n’ai rien d’autre à faire que de rêver, à califourchon sur ma jolie chamelle blanche.
Je pense à T.E. Lawrence; “Notre minuscule caravane brusquement intimidée, tomba dans un silence de mort, honteuse d’étaler sa petitesse en présence de masses aussi formidables”

Le sable est si fin qu’il vient s’incruster partout entre les touches du clavier, dans les prises, sous le bouton de l’Iphone, entre les lentilles de l’appareil photo, entre vos propres dents, même.

J’envoie un message à mon ami du desert pour lui demander sa recette, et sa réponse est laconique, le premier pc est fichu, celui qui lui reste est un ordinateur militaire. Et du sable, il en mange tous les jours.

Ce soir je célèbre mon Anniversaire confortablement installé entre les dunes du Rub AL-Khali, au coin du feu, dans un calme absolu, ponctué parfois par le crépitement d’une escarbille ou le blatèrement des chameaux.

Quelques gazelles des sables curieuses pour toute compagnie et un ciel toujours aussi étoilé.

J’en ai rêvé si longtemps, et j’en rêverai encore et encore.

 

 

Aux portes du desert

Le taxi nous conduit au portes du desert, deux heures et demi de route monotone à travers les champs de pétrole avec un chauffeur indien mutique, et tant mieux.
Les taxis roulent au gaz à quelques centimes le mètre cube, juste un plein avant le grand rien.
Il ne connait pas la route, comme la plupart des chauffeurs, et je l’oriente à partir des repères que j’ai pris sur les images satellite de Google.
Quelques petites fermes à dattes, un élevage de chameaux, une station service, puis la route privée s’élevant d’abord, sinueuse, aux travers de dunes de plus en plus hautes, de plus en plus rouges, puis replongeant jusqu’à une confortable Oasis verdoyante , où trône un fort de bois et de pisé et ses pigeonniers. On y entend le pépiement de quantité d’oiseaux, venus s’abreuver dans les canaux d’irrigation.
J’ai du wifi, je peux  travailler un peu dans l’ombre fraîche d’un moucharabieh avant de m’attaquer à cette dune de 300 mètres qui me fait face avec arrogance, pour contempler le coucher de soleil de son sommet.